par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
GREVE DEFINITION
Dictionnaire juridique
Définition de Grève
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La grève est la dénomination donnée à un mouvement collectif pris à l'initiative de tout ou partie du personnel d'une entreprise, destiné en général à contraindre l'employeur à la négociation des conditions de travail et de rémunération. La grève a cependant changé d'orientation et de modalité car, outre la protestation dont elle se veut être l'expression, elle peut aussi être décidée dans un but de solidarité avec d'autres entreprises même si les protestataires n'appartiennent pas au même employeur, pour exprimer la crainte d'une décision future ou dans un but politique. Elle est exercée tant par le personnel des entreprises privées que par les agents des services publics. Et, bien que le droit de grève ne soit pas reconnu à certains fonctionnaires, comme c'est le cas des magistrats et des militaires, des évènements récents ont montrés que cette interdiction n'était pas nécessairement suivie. Enfin, récemment encore elle a été exercée par les membres d'une profession libérale et même par les collégiens et les étudiants... .mais dans ce dernier cas, s'agit-il d'une grève ?. L'exercice du droit de grève est garanti par l'alinéa 7 de la Constitution du 27 octobre 1946.
Sauf faute lourde, tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de l'exercice de son droit de grève ou de faits commis dans l'exercice de ce droit est nul. L'exercice du droit de grève ne saurait donner lieu de la part de l'employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux. Tout licenciement prononcé en violation de ce texte est nul de plein droit. Dès lors qu'il caractérise une atteinte à la liberté d'exercer son droit de grève, qui est garanti par la Constitution, Peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration. (Chambre sociale 25 novembre 2015, pourvoi n°14-20527, BICC n°840 di 15 avril 2016 et Legifrance.
A défaut de dispositions législatives le prévoyant, l'exercice normal du droit de grève n'est soumis à aucun préavis : pour qu'il soit exécuté d'une manière régulière, il nécessite seulement l'existence de revendications professionnelles collectives dont l'employeur doit avoir connaissance au moment de l'arrêt de travail. Les modalités de cette information importent peu. Tel est le cas lorsque des salariés ont transmis une lettre de revendications professionnelles reçue par l'employeur, étant précisé qu'ils avaient dès le commencement de la cessation du travail informé leur supérieur hiérarchique présent sur le lieu de travail de ce qu'ils se mettaient en grève du fait du refus de l'employeur de satisfaire à leurs revendications professionnelles d'autant que immédiatement après la cessation du travail, des échanges téléphoniques ont eu lieu entre les salariés et le dirigeant de l'entreprise. (Chambre sociale 22 octobre 2014, pourvoi n°13-19858, 13-19859, 13-19860, BICC n°815 du 1er février 2015 et Legifrance). Lorsque l'employeur a été tenu dans l'ignorance des motifs de l'arrêt de travail, à savoir le versement d'un acompte sur le treizième mois, et qu'il n'a été informé de cette revendication qu'en demandant aux intéressés les raisons du blocage des portes de l'entreprise, il en a été déduit à bon droit que le salarié initiateur de ces faits ne pouvait se prévaloir de la protection attachée au droit de grève (Chambre sociale 30 juin 2015, pourvoi n°14-11077, BICC n°833 du 15 décembre 2015 et Legifrance). Consulter la note de Madame Nathalie Dedessus-Le-Moustier référencée dans la Bibliographie ci-après.
Selon l'article L. 2512-5 du code du travail, complété par l'article 2 de la loi n° 82-889 du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publics, s'applique de manière générale aux retenues effectuées sur les rémunérations des personnels des établissements privés chargés d'un service public. Il en va autrement lorsqu'un texte spécifique prévoit un autre mode de calcul de ces retenues pour un service public particulier, en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel n° 87-230 du 28 juillet 1987. Il en est ainsi des transports terrestres réguliers de voyageurs : l'article L. 1324-11 du code des transports, issu de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, prévoit que « la rémunération d'un salarié participant à une grève, incluant le salaire et ses compléments directs et indirects à l'exclusion des suppléments pour charges de famille, est réduite en fonction de la durée non travaillée en raison de la participation à cette grève. (Chambre sociale 8 juillet 2020, pourvoi n°19-13767, Lettre Ch. soc. n°5 mai /juin /juillet 2020, p.2, et Legifrance).
L'article L1251-10, §1°, du code du travail a pour objet d'interdire à l'employeur de recourir au travail temporaire dans le but de remplacer des salariés en grève et de priver leur action d'efficacité. Si l'employeur a fait accomplir à des salariés temporaires, en plus de leur travail habituel, celui de salariés grévistes, il donc eu recours au travail temporaire en violation des dispositions ci-dessus (Chambre sociale 2 mars 2011, pourvoi n°10-13634, BICC n°745 du 1er juillet 2011 avec le commentaire du SDER et Legifrance). Consulter sur me sujet, la note de Madame Nathalie Dedessus-le-Moustier référencée dans la Bibliographie ci-après.
La mesure prise par l'employeur contre des salariés grévistes, qui consiste à leur imposer une retenue sur leurs rémunétrations dont le montant selon un taux variable pour prendre en compte d'une part, le degré de mobilisation de ces salariés, les services auxquels ils sont affectés, et d'autre part, les conséquences de l'arrêt de travail sur le fonctionnement de l'entreprise constitue une discrimination indirecte (Chambre sociale 9 juillet 2015, pourvoi n° 14-12779 et divers autres, BICC n°834 du 15 javier 2016 et Legifrance). Consulter la note de M. François Duquesne au JCP 2015, éd. S, II, 1367.
Dans un arrêt du 23 novembre 2001 (BICC n°553 du 1er avril 2002), la Cour d'appel de Paris (14ème Ch, sect. B) a décidé que la mise en place de piquets de grève revêtait un caractère abusif lorsqu'ils interdisaient l'accès à l'entreprise et en paralysait l'activité, méconnaissant ainsi les principes de la liberté du travail et de la libre circulation des personnes et des biens. Ce mouvement constituait un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 du Code de procédure civile. La présence de piquets de grève empêchant l'entrée ou la sortie de l'entreprise aux véhicules assurant l'approvisionnement et les livraisons de l'entreprise, il pouvait y être mis fin par une ordonnance du juge des référés qui pouvait ordonner l'expulsion des grévistes. Mais, ni la durée du mouvement de grève ni l'existence d'une pluralité de motifs ne pouvant suffire à caractériser en elles-mêmes une fraude, la cour d'appel qui a constaté que l'employeur n'apportait aucun élément pour démontrer que l'exercice du droit de grève aurait eu un caractère abusif, en a exactement déduit que le caractère illicite du mouvement n'était pas établi (Chambre sociale 4 juillet 2012, pourvoi n°11-18404, BICC n°773 du 15 décembre 2012 et Legifrance). Jugé cependant que constitue une faute lourde justifiant son licenciement, le fait qu'un salarié ait personnellement participé à l'action collective du personnel au cours de laquelle le directeur des ressources humaines a été retenu pendant plusieurs heures dans son bureau, dont il n'a pu sortir qu'après l'évacuation par les forces de l'ordre des personnes présentes. (chambre sociale 2 juillet 2014, pourvoi n°13-12562, BICC n°812 du 1er décembre 2014 et Legifrance).
La Cour d'appel de Versailles (12éme Ch., sect. 2 - BICC n°553 du 1er avril 2002) a jugé qu'une grève générale d'ampleur nationale née d'une réaction à des mesures gouvernementales, qui n'était ni prévisible ni susceptible d'être contrée par des négociations internes à l'entreprise puisque son issue dépendait de décisions d'ordre politique, et insurmontable techniquement comme affectant la vie économique du pays tout entier, revêtait tous les caractères de laforce majeure. C'est donc à bon droit que La Poste se prévalait des dispositions de l'article 1148 du Code civil pour s'exonérer de sa responsabilité à l'égard de ses clients relativement aux graves perturbations de son service liées à la grève de décembre 1995. Il est tenu compte par les tribunaux de l'ampleur et la durée d'une grève pour estimer qu'elle présentaient un caractère imprévisible (Cass., Soc., 11 janvier 2000, Bull., n° 16). En revanche la Chambre social a jugé que la grève qui est la cessation collective et concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles ne peut être limitée à une obligation particulière du contrat de travail. Dès lors ne peut constituer un mouvement de grève licite l'inexécution par des salariés durant leur service de leur seule obligation d'astreinte. (Soc. - 2 février 2006 BICC n°640 du 15 mai 2006 et, même formation 21 octobre 2009, pourvoi n°08-14490, BICC n°719 du 1er avril 2010). Voir le commentaire de M. Martinon référencé dans la Bibliographie ci-après. L'action entreprise par les salariés pour soutenir un délégué syndical menacé de licenciement n'est pas étrangère à des revendications professionnelles qui intéressent l'ensemble du personnel : lorsqu'elle est fondée sur ce motif, la grève a une cause jugée licite (Cass. soc., 5 janv. 2011, pourvois n°10-10685 à n° 10-10692, LexisNexis et Legifrance).
La Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et le Décret n° 2008-82 du 24 janvier 2008 ont fixé les nouvelles règles relative à l'exercice du droit de grève dans les transports terrestres de voyageurs. L'article 2, I, de la loi prévoit que dans les entreprises de transport ainsi qu'au niveau de la branche, devaient être engagées des négociations en vue de la signature, avant le 1er janvier 2008, d'un accord-cadre organisant une procédure de prévention des conflits. À défaut d'un tel accord, l'organisation et le déroulement de la négociation préalable obéissent aux règles supplétives fixées par le décret du 24 janvier. La Loi dispose entre autre qu'en cas de conflit social, "Pour assurer les dessertes prioritaires, l'autorité organisatrice de transport détermine différents niveaux de service en fonction de l'importance de la perturbation. Pour chaque niveau de service, elle fixe les fréquences et les plages horaires. Le niveau minimal de service doit permettre d'éviter que soit portée une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'accès aux services publics, à la liberté du travail, à la liberté du commerce et de l'industrie et à l'organisation des transports scolaires. Il correspond à la couverture des besoins essentiels de la population". Le Décret fixe la procédure que, les parties, à défaut d'un accord-cadre mentionné au I de l'article 2 de la loi du 21 août 2007, doivent observer pour se conformer à l'obligation, de négociation préalable selon les modalités que le décret du 24 janvier 2008 détaille.
L'occupation d'un navire par le personnel gréviste empêche celui-ci de prendre le large, ce dont il résulte une entrave à la liberté du travail des salariés non grévistes. Le fait par l'armateur d'avoir retiré de la liste d'équipage du navire dix-neuf salariés grévistes qui ont fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire pour avoir participé à un mouvement de grève illicite n'est pas constitutif d'un trouble manifestement illicite (Chambre sociale 8 octobre 2014, pourvoi n°13-18873, BICC n°814 du 15 janvier 2015 et Legifrance).
Le « plan de prévisibilité » défini par la RATP le 7 janvier 2008, en application de l'article 5 de la loi du 21 août 2007, prévoyait notamment que la déclaration préalable devait être faite « 48 heures avant le début de la grève fixée par le préavis, ou, pour les agents qui ne sont pas en service le premier jour de la grève, 48 heures avant la date de reprise effective de leur service ». En application de la loi du 21 août 2007, le Conseil d'Etat a annulé ce Plan en précisant dans un arrêt du CE, sect., 19 mai 2008, (n° 312329, Syndicat Sud-RATP) que le fait de « prévoir que la déclaration préalable doit être faite 48 heures avant le début de la grève fixée par le préavis, ou, pour les agents qui ne sont pas en service le premier jour de la grève, 48 heures avant la date de reprise effective de leur service a pour effet d'obliger les agents qui souhaitent participer au mouvement de grève à s'y joindre dès le début de ce mouvement ou, pour ceux qui ne sont pas en service au premier jour de la grève, dès leur première prise de service ». Sauf dispositions législatives contraires, l'employeur ne peut en aucun cas s'arroger le pouvoir de réquisitionner des salariés grévistes (Chambre sociale 15 décembre 2009, pourvoi n°08-43603, BICC n°723 du 1er juin 2010 et Legifrance) Consulter les notes de MM. Ines et Leger référencées dans la Bibliographie ci-après;
Concernant les absences d'un salarié notamment en cas de grève, si l'employeur peut tenir compte des absences, même motivées par la grève, pour le paiement d'une prime, c'est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution. Si les absences pour maladie n'entraînent pas dans l'entreprise d'abattement de la prime d'ancienneté, il convient d'en déduire, s'agissant de périodes d'absence qui ne sont pas légalement assimilées à un temps de travail effectif, que le non-paiement de la prime pour absence pour fait de grève revêt un caractère discriminatoire (chambre sociale, 23 juin 2009, trois arrêts : pourvois n°08-42154, 07-42677, et 07-42678, BICC n°713 du 15 décembre 2009 et Legifrance). Consulter aussi : Soc., 25 mars 1982, pourvoi n°81-11175, Bull. 1982, V, n°224; Soc., 1er juillet 1982, pourvois n°80-41056 et n° 80-41057, Bull. 1982, V, n° 436 ; Soc., 10 décembre 2002, pourvoi n°00-44733, Bull. 2002, V, n°371.
Textes
Bibliographie