par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 9 juillet 2015, 14-12779
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Cour de cassation, chambre sociale
9 juillet 2015, 14-12.779

Cette décision est visée dans la définition :
Grève




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu leur connexité, joint les pourvois n° E 14-12. 779, H 14-12. 781 à P 14-12. 787, R 14-12. 789 et S 14-12. 790 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, qu'à la suite d'un mouvement de grève ayant eu lieu du 21 au 26 octobre 2010, la société Mondadori Magazines France a décidé que les salariés des titres qui avaient « bouclé » en temps et en heure subiront une retenue de 50 % tandis que ceux dont les titres avaient « bouclé » en retard subiront une retenue de 100 % ; que onze salariés dont Mme De X..., travaillant au sein du magazine « Science et vie junior », qui ont subi une retenue de 100 % pour les jours de grève, ont saisi le 11 mars 2011 la juridiction prud'homale ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Attendu que la société Mondadori Magazines France fait grief aux arrêts de la condamner à payer aux salariés un rappel de salaire pour les jours de grève et les congés payés afférents alors, selon le moyen :

1°/ que ne constitue pas une mesure discriminatoire en raison de l'exercice du droit de grève une mesure qui n'opère pas de distinction entre salariés grévistes et non grévistes mais seulement parmi les salariés grévistes, une telle mesure étant par hypothèse indépendante de la participation du salarié au mouvement de grève ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt qu'à l'issue de la grève, l'employeur a décidé d'effectuer une retenu de 50 % de leur rémunération aux grévistes travaillant au sein de publications parues à temps et une retenue de 100 % aux grévistes travaillant au sein de publications parues en retard ; qu'en jugeant que cette mesure constituait une discrimination indirecte à raison de l'exercice du droit de grève, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1 et L. 1132-2 du code du travail ;

2°/ que ne constitue pas une mesure discriminatoire en raison de l'exercice du droit de grève une mesure qui opère une distinction entre salariés grévistes en fonction d'un critère objectif indépendant de la volonté de l'employeur ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt qu'à l'issue de la grève, l'employeur a décidé d'effectuer une retenue de 50 % de leur rémunération aux grévistes travaillant au sein de publications parues à temps et une retenue de 100 % aux grévistes travaillant au sein de publications parues en retard ; qu'en énonçant que ce motif de différenciation prétendument objectif entre grévistes procédait, en réalité, de la prise en considération de l'exercice de son droit de grève par le salarié gréviste au prétexte que l'impossibilité pour certains grévistes d'être parvenus « à boucler en temps et heure » leur magazine ne résultait que de l'exercice normal du droit de grève de sorte que le traitement inégal ainsi réservé par l'employeur à ces deux catégories de salariés grévistes procédait d'une discrimination indirecte à raison de l'exercice du droit de grève, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1 et L. 1132-2 du code du travail ;

Mais attendu que les arrêts retiennent à bon droit que la mesure en cause institue une discrimination indirecte en raison de l'exercice normal du droit de grève en ce qu'elle prend en compte le degré de mobilisation des salariés, selon les services, et ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise et qu'elle ne peut être justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison de la grève dès lors que la parution en retard des magazines résulte des conséquences inhérentes à la cessation collective du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 1153 du code civil ;

Attendu que, pour condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts, les arrêts retiennent que le comportement illicite et insidieux de la société constitue un manquement de l'intéressée à ses obligations de loyauté envers ses salariés ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence pour les salariés d'un préjudice indépendant du retard apporté au paiement par l'employeur et causé par sa mauvaise foi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Mondadori Magazines France à payer aux salariés la somme de 200 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 19 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne Mme De X...et les neuf autres salariés aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen identique produit aux pourvois n° E 1412. 779, H 14-12. 781 à P 14-12. 787, R 14-12. 789 et S 14-12. 790 par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour la société Mondadori Magazines France

IL EST FAIT GRIEF aux arrêts attaqués d'AVOIR condamné la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE à payer aux salariés un rappel de salaire et congés payés afférents pour les jours de grève d'octobre 2010, une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à tous sauf M. Y..., des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre de l'atteinte portée à l'exercice du droit de grève,

AUX MOTIFS PROPRES QUE « il résulte des pièces et conclusions des parties que la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE, spécialisée dans le secteur de la presse magazine, a décidé de déménager son siège social à Issy les Moulineaux ; que les salariés de la société, protestant contre la réduction de la superficie des bureaux, consécutive à ce déménagement, ont déclenché un mouvement de grève le 21 octobre 2010 ; qu'à l'issue de ce mouvement de grève le 26 octobre 2010, la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE a décidé diverses mesures de fin de grève dont, la suivante : les salariés des titres qui ont boudé en temps et en heure subiront une retenue de 50 % ; ceux dont les titres ont bouclé en retard subiront une retenue de 100 % ; que les salariés travaillant à la conception et l'édition du magazine « Science et vie junior » n'ont pas été en mesure de faire en sorte que ce magazine paraisse et soit livré ponctuellement à ses abonnés ; qu'en application de la règle unilatérale posée comme dit ci-dessus par la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE, les salariés grévistes du magazine « Science et vie junior » se sont vu pratiquer, par la société, une retenue de 100 % par journée non travaillée, tandis que les grévistes des autres magazines qui avaient pu paraître en temps et heure ont reçu 50 % au titre de leur journée de grève ; (¿) qu'il n'est pas discuté que les salariés du magazine « Science et vie junior » dont faisaient partie les intimés, ont « massivement fait grève »- pour reprendre les conclusions de ceux-ci-de sorte qu'ils n'ont pas été en mesure de faire paraître le magazine à bonne date-et ce, contrairement aux salariés appartenant à des magazines « moins grévistes » qui, eux, ont pu sortir en temps et heure, procurant, du même coup, à leurs salariés grévistes, la rémunération de 50 % par jour de grève, unilatéralement offerte par l'employeur ; qu'il est ainsi incontestable que les divers salariés grévistes de la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE, occupés par l'ensemble des magazines de l'appelante, malgré leur statut commun de gréviste, ont été traités différemment ; que certes, selon la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE cette différence résulterait de l'application d'un critère objectif, lié au respect des délais de parution et de livraison ; que ce motif de différenciation prétendument objectif procède, en réalité, de la prise en considération de l'exercice de son droit de grève par le salarié gréviste ; qu'en effet, l'argumentation développée par l'employeur pour justifier la rémunération de leurs jours de grève, à certains grévistes et la non rémunération de leurs jours de grève à d'autres grévistes, ne trouve que son fondement apparent dans l'impossibilité pour certains grévistes d'être parvenus « à boucler en temps et heure » leur magazine ; qu'en effet, cette impossibilité ne résulte que de l'exercice normal du droit de grève qui a nécessairement pour effet, voire pour objet, de désorganiser le fonctionnement de l'entreprise ; qu'en refusant d'accorder la rémunération litigieuse aux salariés grévistes qui, majoritaires au sein d'une publication, comme « Science et vie junior »,- celle des intimés-n'avaient pu respecter les délais de livraison, la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE sanctionnait la cessation concertée de leur travail par ces salariés qui avait eu pour effet de ralentir ou de paralyser momentanément l'activité de l'entreprise-conformément l'exercice normal du droit de grève ; qu'en définitive, le traitement inégal ainsi réservé par l'appelante à ces deux catégories de salariés grévistes procède bien d'une discrimination indirecte à raison de l'exercice du droit de grève ; qu'il revêt, en conséquence, un caractère illicite qu'a justement sanctionné le conseil de prud'hommes en condamnant la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE au paiement des sommes réclamées à titre de rappels de salaire et congés payés afférents ; que le comportement illicite et insidieux de la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE constitue un manquement de l'intéressée à ses obligations de loyauté envers sa salariée ; que la cour estime devoir porter à 200 ¿ le montant de l'indemnité compensatrice du préjudice subséquent, allouée en première instance » ;

AUX MOTIFS ADOPTES (concernant MM. Y..., Z..., A..., B...et C..., Mmes E..., F..., G...et H...) QUE « à la suite de plusieurs assemblées générales, les salariés de la société MONDADORI MAGAZINE France TRAIT d'UNION SAS ont décidé d'exercer leur droit de grève du 20 au 26 octobre 2010 afin de protester contre la réduction de la superficie des locaux de travail à l'occasion du déménagement locaux situés à ISSY les MOULlNEAUX vers MONTROUGE programmée le 17 décembre 2010 ; (...) qu'à la question posée par les délégués du personnel lors de la réunion qui s'est tenu le 12 janvier 2011 « retrait de salaires du aux jours de grève : les salariés grévistes de Science et Vie Junior ont été surpris de constater que l'intégralité de leurs jours de grève avait été décomptée, alors que pour les salariés grévistes des autres titres les jours de grève n'ont subi une retenue de 50 %. Comment-expliquez-vous une telle différence de'traitement ? » La direction de la société MONDADORI MAGAZINE France TRAIT d'UNION SAS a répondu : « Les salariés de science et vie junior se sont vus appliquer une retenue de 100 % qui s'explique par le fait que les abonnés ont été servis en retard. Cette position est conforme à la règle qui a été énoncée lors de la grève. » ; que l'article L du code du travail dispose « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire mentionnée à l'article L 1132-1 en raison de l'exercice normal du droit de grève » ; Le conseil dans sa formation de céans dit que la mesure appliquée au salarié consistant en " une retenue de salaire de 100 % lors de l'exercice légal de son droit de grève menée 22 et 25 octobre 2010 est illicite »

AUX MOTIFS ADOPTES (concernant Mmes De X...et I...) QUE « l'article L. 2511-1 du Code du Travail dispose que : « L'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l'article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d'avantages sociaux. Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit » ; que l'article L. 1132-2 du Code du Travail dispose que : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap » ; En l'espèce l'employeur a pris l'engagement de payer à hauteur de 50 % les journées d'absence de salariés grévistes, dès lors que la parution des magazines au sein desquels ils collaboraient n'était pas retardée ; à l'inverse, les salariés grévistes travaillant pour un titre ayant connu un retard de parution ont été privés de toute rémunération. En l'espèce l'employeur a défini des règles de rémunération différentes en fonction du nombre de grévistes par magazine. (...) En l'espèce l'employeur a décidé unilatéralement de rémunérer les jours non travaillés par les grévistes à hauteur de 50 %. En conséquence le Conseil dit et juge que le droit de grève n'a pas été respecté et que les modalités de rémunération de ces jours sont discriminatoires en fonction des magazines et des effectifs de chaque magazine qui ont fait grève » ;

1. ALORS QUE ne constitue pas une mesure discriminatoire en raison de l'exercice du droit de grève une mesure qui n'opère pas de distinction entre salariés grévistes et nongrévistes mais seulement parmi les salariés grévistes, une telle mesure étant par hypothèse indépendante de la participation du salarié au mouvement de grève ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt qu'à l'issue de la grève, l'employeur a décidé d'effectuer une retenu de 50 % de leur rémunération aux grévistes travaillant au sein de publications parues à temps et une retenue de 100 % aux grévistes travaillant au sein de publications parues en retard ; qu'en jugeant que cette mesure constituait une discrimination indirecte à raison de l'exercice du droit de grève, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1 et L. 1132-2 du Code du travail ;

2. ALORS à tout le moins QUE ne constitue pas une mesure discriminatoire en raison de l'exercice du droit de grève une mesure qui opère une distinction entre salariés grévistes en fonction d'un critère objectif indépendant de la volonté de l'employeur ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt qu'à l'issue de la grève, l'employeur a décidé d'effectuer une retenue de 50 % de leur rémunération aux grévistes travaillant au sein de publications parues à temps et une retenue de 100 % aux grévistes travaillant au sein de publications parues en retard ; qu'en énonçant que ce motif de différenciation prétendument objectif entre grévistes procédait, en réalité, de la prise en considération de l'exercice de son droit de grève par le salarié gréviste au prétexte que l'impossibilité pour certains grévistes d'être parvenus « à boucler en temps et heure » leur magazine ne résultait que de l'exercice normal du droit de grève de sorte que le traitement inégal ainsi réservé par l'employeur à ces deux catégories de salariés grévistes procédait d'une discrimination indirecte à raison de l'exercice du droit de grève, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1 et L. 1132-2 du Code du travail ;

3. ALORS en toute hypothèse QUE les dommages intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation au paiement d'une somme d'argent ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, lesquels ne courent que du jour de la sommation de payer ; que le juge ne peut allouer au créancier des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser, d'une part, la mauvaise foi du débiteur, d'autre part, l'existence d'un préjudice indépendant du retard de paiement ; qu'en condamnant l'employeur à verser, outre un rappel de salaire et de congés payés afférents, des dommages et intérêts, au prétexte que le comportement illicite et insidieux de la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE constitue un manquement de l'intéressée à ses obligations de loyauté, sans caractériser la mauvaise foi de l'employeur et le préjudice non réparé par l'octroi aux salariés du rappel de salaire et congés payés afférents, distinct du simple retard dans le paiement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1153 du Code civil.



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Grève


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.